JEAN LOMBARD
« DIE WELT » - Samedi 17 novembre 1962
Magiques, nébuleusement et fantastiquement colorées, sont les 25 toiles du peintre Jean LOMBARD (né à Dijon en 1895 et vivant maintenant la plupart du temps à Paris), exposées en ce moment à l'Institut Français de Cologne. Des condensations en spirales propulsées d'une manière dynamique, mais trop diffuses pour en composer des accents distincts, apparaissent sans cesse à la surface des "taches". Des expériences de la vie, de la Nature, de la lumière, se manifestent dans ses toiles dont quelques-unes unes, comme "Les Rochers gris", se rapprochent du sujet. Des astres, des fleurs, des arbres et des natures-mortes rappellent aussi les titres. Le charme coloré de chaque toile est tout d'abord puissant, mais il est dangereux d'en voir un très grand nombre en même temps, l'impression donnée perdrait de sa force.
Les toiles de LOMBARD ont été acquises par de nombreux
musées français. L exposition actuelle aura lieu plus tard
à Bremen, Stuttgart et Dortmund.
W.F.
Les Nouvelles de la ville de Cologne (14/11/1962)
Le peintre parisien Jean LOMBARD, 65 ans, expose ses
toiles à l'Institut Français au "Sachsenring". Ses
puissants accords polychromes et les rythmes baroques des formes d'un mouvement
impétueux - tous peints d'une manière souveraine -
reflètent l'expérience de la Nature d'un artiste qui a
été visiblement marqué par l'abstraction sans pour cela
avoir perdu tout contact visuel avec La Nature. C'est là
l'expérience d'une synthèse d'une foi profonde, loyale,
convaincante et d'une orchestration richement pittoresque capable de faire
rougir de honte bien des apôtres du monochromisme.
Les notes biographiques présentent LOMBARD (qui est né
à Dijon en 1895), comme un artiste qui, aux environs de 1943, s'est
tourné vers le non-figuratif et s'est préoccupé alors de
transpositions du paysage. Avec Estève, Lanskoy, :Mannessier, Bazaine,
De Staël et Vieira da Silva, entre autres, il a exposé au Salon de
Mai. Au début ses toiles présentaient des compositions lyriques
qui, sans aucun doute, comportaient des éléments
géométriques, mais ses récentes toiles ont un certain
dynamisme de forme qui s'associe intimement à sa culture.
LOMBARD n'a donc pas perdu contact avec la Nature et avant tout avec le
paysage. Il ne renie pas l'expérience visuelle; ses tableaux sont une
distillation organique, ses abstractions de la vision du monde se situent
au-dessus de l'impression visuelle et pas seulement dans une vision
spontanée comme c'était le cas chez les Impressionnistes.
Malgré cela, on ne peut pas affirmer qu'une telle liaison de
l'Impressionnisme et de l'Abstrait soit innée dans le caractère
français chez lequel il y a balance égale entre la raison et le
sentiment.
"Nature-morte rouge", "Intérieur" ou
"L'Ancêtre" sont des exemples imposants dans lesquels se lisent
toutes les possibilités et la puissance de LOMBARD. Des
réminiscences des fauves de Cézanne se retrouvent en passant,
mais l'on devrait plutôt parler d'un hommage souverain que LOMBARD entend
formuler très personnellement.
La première impression que j'ai reçue,
comme vous j'en suis sûr en entrant dans cette salle est une impression
de
Richesse, de puissance continue et aussi de
sérénité. Cela, tient à ces couleurs fortes sans
violence, à leur assemblage harmonieux, à leur luminosité,
toutes choses que cette claire galerie met fort bien en relief.
Et bien sûr nous avons tendance à classer Jean Lombard
parmi les coloristes. Nous sommes sensibles à la perfection de la
technique, à cette pâte onctueuse et chaude, à cette
palette frémissante qui va du ton discret du pastel à
l'éclat des pierres précieuses, à ces véritables
études sur les verts, les rouges, les noirs que sont certaines toiles, -
mais aussi - qu'on ne s'y trompe pas - à la sûreté du
trait, au dessin infaillible qui conduit les arabesques et domine les rythmes fluides
de ces ensembles mouvants.
Jean Lombard connaît son métier. On comprend qu'il ait pu
avoir des élèves, comme Panafieu, Cabus, Romathier, et nombre
d'autres qui comptent parmi les meilleurs des jeunes peintres d'aujourd'hui.
Nous savons qu'aucune oeuvre ne "tient" pas sans base solide, et que
les plus grands artistes ont été d'abord des maîtres de
leur art, toujours à la recherche d'une plus grande perfection. Je pense
à Cézanne cherchant désespérément à
la fin de sa vie le secret des Vénitiens.
Il y a cependant dans les oeuvres que nous avons sous les yeux quelque chose de plus que la beauté de la couleur et la perfection de la technique. C'est l'esprit, l'intelligence, la spiritualité dont elles rayonnent. L'intelligence semble subir une crise grave et dans la peinture en particulier. Laissons de côté la sotte querelle de l'art figuratif ou non-figuratif. Il n'y a que de la bonne et de la mauvaise peinture. Or la peinture ne peut être qu'humaine en ce sens où Saint-Exupéry écrivait: "Seul l'esprit s'il souffle sur la glaise, peut créer l'homme". La faiblesse de certains peintres non-figuratifs a été d'oublier que l'esprit est construction, ordre, harmonie, et qu'il sublime plus qu il n'abstrait. La faiblesse de certains peintres figuratifs a été de banaliser les formes et de rendre les choses mortes, alors que l'esprit vivifie. Finalement c'est l'esprit qui surmontera l'angoisse du monde moderne.
Construction, ordre, harmonie, vie, spiritualité, ce sont je crois des caractères évidents de l Suvre de Jean Lombard. Il appartient en ce sens à la grande tradition française, celle de Fouquet, de Poussin, de Chardin, de Cézanne et de Matisse (pour prendre un exemple par siècle).
Pourtant ces définitions ne me satisfont pas encore
complètement. Je disais que la première impression était
de sérénité. Et pourtant quelque chose me trouble. Cette
réalité, si charnellement sensible dans ces toiles, je la
perçois comme éclatée, forcée, obligée
à livrer le plus intime de sa substance. Et sans doute cela
correspond-il dans une certaine mesure à des tendances de l'art abstrait.
Jean Lombard a penché un moment vers l abstraction. De cette
expérience il a tiré les meilleurs fruits, et
précisément cette volonté d'arracher au monde les
« archétypes » qui
sont le support de toutes les formes naturelles et qu'essaient de
traduire ces grandes diagonales, à travers la toile, ces lignes
incurvées, ce dessin nerveux, tout le géométrisme
sous-jacent. Sans doute est-il d'accord avec Kandinsky :
« Créer une oeuvre, c'est créer un monde ».
Il est vrai qu'il n'est pas besoin d'être un peintre abstrait pour le
penser. Renoir disait déjà : « Ce n'est pas devant la
nature que l'on se sent peintre, mais devant un tableau ».
Le mot de "synthèse" vient alors aux lèvres
pour définir cet art, synthèse entre réalisme et
abstraction, entre description et représentation. Mais le mot, qui dans
ce cas, ferait trop penser à compromis, éclectisme, n'est pas
exact, et Jean Lombard affirme : « Je ne suis pas un peintre
fasciné par l'Abstraction, mais à aucun moment je ne me sens
attiré par l'expression dite figurative ».
Je crois en effet qu'il s'agit d'autre chose que de cette simple
synthèse. Un article récent paru à Lyon au sujet d'une
autre exposition de Jean Lombard rappelle que le peintre est un grand lecteur
du « Nouveau Roman », et qu'un rapprochement peut
être tenté. Il y a en effet chez Jean Lombard comme chez ces
écrivains une mise en question des choses, une volonté de
déchiffrer le monde, une tentation d'appréhension
immédiate de la réalité que traduit chez Lombard l'absence
de profondeur, la présence pressante des objets. Même ambition
cosmique que chez Butor, même lyrisme passionné que chez Claude
Simon. Mais mieux qu'à ces romanciers qui parfois oublient la vie et se
confinent dans des études de laboratoire, l'entreprise de Jean Lombard
me fait penser à celle de grands poètes contemporains: au
mouvement puissant, à l'ample respiration, à la parole chatoyante
de Saint John Perse pour qui la nature, les éléments sont
omniprésents, et surtout à René Char, l'ami de Camus. Avec
moins de dureté dans l'expression, il est vrai, c'est quelque chose _d identique
dans l'attachement à la terre, la célébration d'une nature
fraternelle, l'émerveillement, l'approche
« onirique » de la réalité et de la
surréalité. Il est curieux que cette phrase écrite par
Gaêtan Picon, l'ami et chef de Cabinet de M.Malraux, sur René
Char: Nulle poésie n'est plus imprégnée des souffles et
des couleurs de la vie : imprégnée jusqu'à la saturation,
rejoint ce que dit Lombard de lui-même : « Pour moi, il n'est
pas possible de se détacher, de s'isoler des paysages environnants... Je
voudrais que mes toiles soient imprégnées de nature ».
La nature qu ils chantent, c'est celle de cette terre de Provence où ils habitent tous deux, celle aussi de Cézanne, celle où l'on imagine le Faune de Debussy, l'éblouissement du Midi, la « plane simplicité du soleil », les amandiers et les oliviers « sur » l'éventail du crépuscule », selon les mots du poète. Ce qui est émouvant chez Jean Lombard, c'est la nature ouverte, livrée, la chair palpitante des choses, au point qu'on ne sait plus s il s'agit d'un arbre, d'une fleur, du crépuscule ou d'un rocher. Des arbres l'inspirent particulièrement et la lumière, abondante, vivante, translucide. Cette peinture ne raconte pas, n'exprime pas. Elle fait cette psychanalyse des éléments que le philosophe français Bachelard a illustré : Et tout cela est emporté dans un grand mouvement continu : on songe irrésistiblement à Héraclite, qu'aimaient aussi Saint John Perse et René Char, et à sa philosophie du « tout s'écoule ». On pourrait transposer à ce propos à une réflexion de Picon sur Saint John Perse et dire : une toile de Lombard ne commence pas, elle continue.
Il n'est pas étonnant que cette peinture si neuve et en même temps si opposée à tout excès soit devenue une valeur sûre. Plusieurs tableaux ont été achetés par l'Etat français ou la ville de Paris, dont certains figurent au Musée d'Art Moderne. D'étranger petit à petit s'intéresse à Jean Lombard : sans parler des collections privées, Amsterdam, Djakarta ont acheté des oeuvres. Il figure régulièrement dans les importants Salon de Mai et Salon des Réalités nouvelles, et il expose dans de nombreuses grandes villes du monde.
Telles étaient mes réflexions en regardant cette exposition. Mais bien entendu cela est personnel. On juge selon ses préoccupations, ses intérêts du moment. On peut tout simplement avoir le plaisir de regarder. Poussin disait : « le vrai but de l'art est la délectation ».
Je crois en tout cas que le cadre de Worpswede, « la cellule mère de la floraison la plus colorée du lyrisme de la nature allemand », selon les mots récents d'un critique allemand, était particulièrement bien fait pour accueillir ces oeuvres. Je remercie M.Naber d'avoir ouvert sa maison à cette exposition et de n'avoir ménagé aucun effort pour l'installer. Je remercie également la Galerie Synthèse de Paris qui l'a mise à notre disposition. Je salue très cordialement le peintre et son épouse. Je souhaite un grand succès à cette exposition que je déclare ouverte.