Le peintre Jean Lombard et la « petite musique » des arbres

 

 

 

" Les arbres blancs. les arbres noirs

Sont plus jeunes que la nature

Il faut pour retrouver ce hasard de naissance

Vieillir. »

 

Paul Eluard

 

Il est la pureté même, il est l'incarnation de la sérénité et de l'authenticité ; rien chez lui qui sente l'artifice ou le cabotinage, encore moins la complaisance ; beau visage ascétique de moine franciscain sur un corps long et noueux ; ainsi m'apparaît Jean Lombard, qui fête cette année ses quatre-vingts ans. La carrière de cet artiste s'est déroulée loin de la scène parisienne et du tapage superficiel d'un certain marché de l'art; on peut même s'étonner qu'une Suvre ait ainsi pu mûrir dans le silence, sans nul souci des modes éphémères ou des engouements passagers, sans mondanités, dans le plus grand recueillement.

Toute une vie et toute une Suvre peuvent ainsi s'accomplir à l'insu du public ; il est donc possible, aussi surprenant que cela puisse paraître à notre époque, de se consacrer à son art, d'élaborer une Suvre, en étant oublié par la plupart des critiques et des amateurs. On pense au délicieux Bonnard, au discret Jacques Villon, pour ne parler que des peintres, mais on pourrait également faire mention de l'Suvre admirable du poète Joseph Delteil, que l'on avait oublié depuis un demi-siècle et que l'on redécouvre en s'émerveillant.

Comment croire qu'il y ait encore, à notre époque, des peintres qui, répétant le geste des impressionnistes, font le portrait des arbres ? Comment imaginer que des artistes éprouvent l'impérieux besoin de peindre sur le motif, pour nous livrer l'âme de la forêt, celle-là même que célébrait Théodore Rousseau à Barbizon, Courbet dans la campagne de Franche-Comté ou Cézanne dans le parc du Château Noir.

 

Jean Lombard vit une partie de l'année en Provence, dans un mas isolé, relié au monde par un sentier à peine tracé dans les hautes herbes. La fenêtre de son atelier de Valcros ouvre sur la campagne provençale. La prose ampoulée de la critique, les efforts publicitaires déployés par certaines galeries d'art, les recettes plastiques répétées à satiété par certains peintres sont ignorés ici.

Tout est vrai et simple. La vocation de l'artiste sans ambiguïté. Il lui faut dire le monde, en homme de notre temps pour des hommes aussi éloignés qu'il se peut de l'élémentaire, en poète et en peintre, avec des moyens plastiques et un langage qui sont bien ceux de notre époque.

 

C'est dans l'amitié de la forêt que Lombard a toujours vécu, c'est avec elle que se poursuit un incessant et poétique dialogue.

 

Ce peintre participe aux grands salons depuis 1922, mais il n'a réuni ses Suvres pour des expositions personnelles que fort rarement. Ami de Manessier, de Jean le Moal, de Chastel, de Bertholle, c'est surtout après la guerre, vers 1945, que la personnalité de Jean Lombard s'est précisée. A l'occasion d'une exposition de l'artiste, en 1958, Waldemar George écrivait: « Il impose sa propre vision du monde avec une force et une intensité qui n'excluent pas l'intelligence sensible et un contact direct avec le monde physique. Il fait semblant de quitter la nature, mais des liens ténus et mystérieux le rattachent au milieu qui l'entoure et l'enveloppe... L'espace est recréé. La perspective et la ligne d'horizon que les classiques plaçaient à la hauteur de l'Sil sont sciemment abolies. Les images sont brouillées »

 

Le style de Lombard a nettement évolué durant les vingt-cinq dernières années : peu nous importe si les images sont apparemment non figuratives - rien de naturaliste en effet dans cet art pourtant si proche de la nature - l'essentiel est que par leurs harmonies, par le lacis des lignes, le foisonnement des taches colorées, nous soit restitué l'émerveillement de l'auteur, l'éblouissement devant la lumière qui se fait contemplation.

 

Les compositions, d'abord construites dans un esprit encore cubiste, sont traitées dans une palette vivement colorée; puis la vision s'épure, les harmonies se veulent plus subtiles : les lignes noires des troncs rythment la surface de la toile, délimitant des espaces éclairés d'une lumière nacrée. Peu à peu, Lombard revient à une vision plus impressionniste du monde. Les couleurs posées en taches légères, exprimées en une matière fluide irradient l'atmosphère, embrasent la composition. Tout empâtement a disparu ; la lumière circule, éclate entre les branches suggérées, perce les masses d'ombre, ruisselle, inonde le feuillage, frémissante ou mystérieuse.

 

Les « Druides », le « Ravin », la « Grotte », les « Saules », « Beauchêne », le « Vétéran ». tels sont ses modèles - « Bouquets d'arbres : comment s'y mêlent ombre et lumière, opacité et transparence, mouvement et immobilité. Fourrés de vent, ruchers d'air, touffes d'air. Ils bougent « attachés », nous dit Philippe Jacottet - tel est bien le domaine de Jean Lombard qui travaille et vit dans « L'amitié des forêts ».

La couleur, tantôt acide, percée de jaune soufre et de verts printaniers, tantôt éteinte, faisant alors alterner les tons rompus, s'enflamme parfois en des tourbillons qui confèrent à la composition un aspect dynamique et baroque.

 

Il semble cependant, qu'avec l'âge, Jean Lombard soit parvenu dans une période de plénitude, sorte de clairière de sérénité : tout respire ici la paix simple et le bonheur d'être - les dernières toiles subtilement nuancées, lavées dirait-on en une matière transparente et délicate - suggère le monde quotidien en le magnifiant, j'allais dire en le célébrant tant ces compositions confinent au sacré.

 

Célébrer la lumière qui caresse et fait vivre l'objet le plus humble, capter le rayonnement du soleil sur le toit vert des arbres, dire le tronc noueux et la branche souple, c'est mission de poète et de peintre. Le bon vieux Corot « poussait sa petite chanson » selon son propre aveu; Jean Lombard, à notre époque de vitesse, de bruit et d'artifice, attentif au bruissement des feuilles, au murmure de la forêt, transcrit en un langage d'une parfaite limpidité la « petite musique » des arbres, qui est aussi celle du cSur.

 

Paul Duchein.

 

N.B. - A l'occasion des 80 ans de cet artiste. Un « Hommage à Jean Lombard» sera organisé au Musée Ingres de Montauban - 82000 - avec un texte de présentation de notre confrère René Deroudille (du 12 avril au 11 mai).