Musée Ingres Montauban 1975
Lumières de jean lombard
Les dernières paroles de GSthe réclamant
« plus de lumière » deviennent plus
compréhensibles lorsqu'on contemple les travaux de Jean Lombard dont
l'éclat, très particulier, est toujours marqué par une
plénitude lumineuse.
Devons-nous attribuer les préférences du Maître de l'Ecole du Vert-Bois pour les contrastes du clair-obscur, à ses origines bourguignonnes et à son étape lyonnaise ? Ce serait faire preuve d'un chauvinisme excessif, et tendre à revaloriser les théories quelque peu dépassées de Taine. D'ailleurs, empressons-nous de l'écrire, si nous défendons depuis toujours les artistes de la métropole rhodanienne, il est bon de souligner que Jean Lombard a peu vécu à Lyon et qu'il a quitté très vite la capitale de la soie où il a terminé ses études secondaires après avoir obtenu son diplôme de l'Ecole des Beaux-Arts de la place des Terreaux.
La capitale exerçait alors sur les esprits aventureux le même pouvoir de fascination connu aujourd'hui par New York et Los Angeles.
Professeur de dessin des écoles de la ville de Paris, en compagnie de sa jeune femme, fille de l'ancien directeur de l'Ecole des Beaux-Arts de Lyon, Jean Lombard a très vite été conquis par la subtilité de la lumière des ciels parisiens.
Les fluctuations de l'astre roi et les effets du soleil l'attirent et, sans se préoccuper d'un quelconque héritage, fait des luminosités rares de Ravier, de Carnand, de Vernay ou de Jacques Martin, le peintre sent qu'un des chemins essentiels de sa vérité plastique passe par Cézanne dont il peut saisir les prétextes à Valcros, la propriété de la famille Lombard, située à quelques kilomètres d'Aix-en-Provence.
UN EXPRESSIONNISME PAS COMME LES AUTRES
L'école de Paris connaît, à l'époque où Jean Lombard et sa jeune femme s'installent dans la capitale française, une suprématie incontestable. Un académisme, né d'un zeste de symbolisme, d'un dé de cubisme et d'un doigt de fauvisme conduit les artistes à une sorte de réalisme plus ou moins figé ou exalté par les élans de l'expression.
Tout de suite, Jean Lombard, sûr de son instinct «
provincial », flaire le piège. Il peut, à cette
époque, située vers les années 1925-30, faire siennes les
paroles de Matisse affirmant que « l'expression » ne constitue pas
pour lui la passion lue sur un visage mais la condensation des sensations
génératrices du tableau.
Jean Lombard, durant cette période, subit l'heureuse influence
de Matisse. Il désire trouver la puissance du trait et de la couleur
susceptibles de porter au maximum les formes vives nées de sa perception
des phénomènes observés. A cette date, les
créations de Jean Lombard sont figuratives, inspirées par une
longue conversation muette avec le motif. Celui-ci ne constitue pas la fin du
tableau. Il est le moyen destiné à permettre au peintre
d'atteindre « sa » vérité.
C'est pourquoi, lorsque nous parlons de 1'« expressionnisme
» de Jean Lombard, nous nous référons à Matisse afin
que l'on ne puisse pas confondre l'activité du peintre avec celle des
tenants de la « Brücke » germanique.
La lumière dessine la forme, construit le volume, traduit les
qualités de la matière et les luttes de l'ombre et de la
clarté. Jean Lombard contemple les choses avec une perspicacité
telle qu'il possède les moyens - en utilisant le « dictionnaire de
la nature », recommandé par Delacroix - d'établir la
structure profonde des phénomènes.
DES STRUCTURES LUMINEUSES
Les longs séjours à Valcros conduisent Jean Lombard d'un
autre côté que celui de la carrière de Bibémus, ou
de l'approche des perspectives de la Sainte-Victoire, voire des constructions
cubiques du village de Gardanne. Le peintre interroge les « grandes
baigneuses », ces tympans romans, bâtis au moyen de la couleur par
le Maître d'Aix.
Jean Lombard semble être le petit cousin de Joseph de Maistre.
«Le Voyage autour de la chambre » constitue la grande aventure.
Pourtant, il importe au peintre, à l'époque de la
libération du territoire, de revenir vers des travaux sinon
géométriques, du moins vers des Suvres
caractérisées par une qualification privilégiée de
la forme. Mais, pendant que certains « abstraits » utilisent la
ligne et les figures géométriques, le Maître du Vert-Bois
se sert de la couleur en répétant peut-être les paroles de
Cézanne : « A mesure que l'on peint, l'on dessine : lorsque la
couleur est à sa puissance, la forme est à sa plénitude
».
C'est l'instant où Jean Lombard se rapproche de la nature qu'il n'a quittée que d'un Sil ! Désormais, l'expérience architecturale des travaux abstraits lui permet de voir dans les prétextes quotidiens : les allées du jardin de Valcros, les arbres de la rue Paul-Appel à Paris, les structures destinées à ancrer son Suvre et à donner à ses impressions fugitives une allure d'éternité. On distingue, au cours des travaux réalisés vers 1960-64, un élan, une fougue, un tonus semblable aux défoulements de Pignon, sans toutefois qu'apparaisse, dans les travaux de l'artiste bourguignon, le moindre signe de vulgarité. Jean Lombard a peut-être, comme nous tous, le besoin de libérer les forces de sa libido : il utilise pour le faire non pas les excès caractéristiques des artistes du Nord ni l'écriture plus ou moins « dansée » de Rubens. Il fait appel au caractère méditerranéen de sa nature, il se réfère aux orages de Michel-Ange. C'est le moment marqué par les souvenirs d'un séjour romain à la Chapelle Sixtine. C'est l'instant où, emporté par l'élan baroque, il crée des Suvres dynamiques dont la violence et le lyrisme l'emportent sur sa « réserve » toute apparente.
L'EON BAROQUE
On éprouve une certaine difficulté à accoler à la personnalité de Jean Lombard le terme baroque. Pourtant, au moment où on a la chance de mieux connaître l'artiste, on n'est pas surpris de le voir, vers 1966, choisir l'exubérance de Michel-Ange, ni de le surprendre en train de donner à ses formes tourmentées le volume de corps de femmes tordues par la passion dionysiaque du plaisir.
L'architecture chromatique des créations antérieures permet cette mutation et c'est probablement parce que Jean Lombard a vu, à travers les peupliers de la campagne aixoise, la silhouette d'inquiétantes créatures, qu'il éprouve la nécessité de s'en délivrer en mobilisant son tracé et ses couleurs et en soumettant au paroxysme du langage qui l'habite, les signes usés par l'expérience.
On éprouve, à cet instant, un véritable émerveillement à suivre l'itinéraire solitaire du peintre capable d'échapper à toutes les sollicitations de la mode et de dire, à sa façon, l'éclatement, l'inexistence du contour !
Cinétisme ? Proto-cinétisme, sans doute ? De toute manière, Jean Lombard oblige l'Sil à participer à l'aventure du tableau, à se servir de multiples points de vue afin de saisir les métamorphoses infinies de la nature, soumise aux mutations permanentes de la vie.
LES FORCES INFINIES DU MURMURE
Soudain, Jean Lombard fait retraite. Plus exactement, d'une modestie extrême mais d'une exigence personnelle, rigoureuse, l'artiste s'interroge pour savoir s'il n'est pas vain de s'élancer vers l'extériorisation des sentiments tandis qu'il se révèle plus important de pénétrer la profonde vérité des choses et d'abandonner la communion vaine de tous, au profit du recueillement et des richesses de la solitude.
Un rideau se tend entre le lointain et le proche. Les éléments spatiaux des créations de l'artiste se veulent sans distance ou du moins saisis entre la protection de l'entrebâillement d'une porte.
La voix ne se fait pas moins forte. Elle accepte la nuance et c'est grâce à elle que les toiles de Jean Lombard possèdent une présence, une subtilité, une jeunesse, gages d'un tempérament privilégié.
La couleur, toujours inventée, se veut souvent aigrelette, sans agressivité aucune, toujours prête, malgré tout, à susciter la curiosité de l'Sil et à promouvoir une réflexion sur la nature et les effets de la lumière.
Là-bas, l'horizon butte contre les arbres vus à travers un voile de gaze, frontière de l'intimité du peintre, dont certaines toiles évoquent les créations de Vuillard, peintes dans l'atelier douillet et retranché de la place Vintimille, au bas de Montmartre.
Jean Lombard se moque et se méfie de l'objectivité. Il refuse de copier la nature. Il entend créer de sa propre main les motifs plastiques destinés à composer une symphonie de formes et de couleurs.
On vient de fêter les quatre-vingts ans du peintre! Jean Lombard demeure éternellement jeune, il a Suvré avec enthousiasme et réalisé une Suvre où tout est lumière, où tout chante l'euphorie profonde et rare de la vie.
René DEROUDILLE